Affaire Mehdi : vers un scénario écrit à l’avance ? "il est primordial de tenir un procès public", selon la LDH
Le dossier de Mehdi Bouda, mortellement percuté par la police en 2019, passe en chambre du conseil ce mardi. La Parquet de Bruxelles devrait demander un non-lieu, comme souvent. Pourquoi ?
- Publié le 26-03-2024 à 09h00
- Mis à jour le 26-03-2024 à 09h06
Ce mardi marque une étape importante pour la famille de Mehdi Bouda, mortellement percuté par une voiture de police aux abords de la gare centrale de Bruxelles le 20 août 2019. Le dossier passe devant la chambre du conseil, qui définira si les policiers doivent passer ou non devant le tribunal correctionnel. La famille appelle à un rassemblement devant le Palais de Justice à la sortie de l’audience au cours de laquelle le Parquet demandera probablement un non-lieu, comme cela avait été le cas dans le dossier d’Adil, de Sabrina et Ouassim ou encore de Dieumerci.
Une telle récurrence dans la position du Parquet pose question. Selma Benkhelifa, collègue de Joke Callewaert qui défendra la famille de Mehdi Bouda, pose un constat qui souligne un problème mais sans être fataliste. “Le Parquet demande systématiquement un non-lieu et ça organise l’impunité policière. Par contre, dans l’affaire de Sabrina et Ouassim, même si un non-lieu avait été requis, le juge avait tout de même décidé d’un renvoi devant un tribunal” et, donc, devant un tribunal qui avait finalement condamné les policiers.
Pour le Parquet de Bruxelles, il ne s’agit là que d’une impression. “Le ministère public fait en fonction des éléments en sa possession et il arrive qu’il demande des poursuites à des policiers. La 50e chambre traite, un mercredi par mois, des dossiers où des policiers sont impliqués” et ne confirme pas la tendance avancée par Selma Benkhelifa, selon le porte-parole. “Le magistrat à l’audience est libre de ne pas suivre les réquisitions écrites. Selon le principe, la plume est serve mais la parole est libre.”
Selma Benkhelifa constate tout de même une situation de deux poids deux mesures quand le Parquet, en 2020, justifiait déjà sa demande de non-lieu par le fait que, si les policiers avaient respecté le Code de la route (ils roulaient à 98 km/h et non 50 car ils étaient en intervention lors du choc mortel avec Mehdi), l’issue aurait tout de même été fatale pour le jeune Anderlechtois. “Quelle aurait été la réaction du Parquet si cette stratégie de défense s’appliquait à un citoyen ? Le Parquet ne remplit pas sa fonction de protéger l’intégrité de la population dès qu’il s’agit de policiers. […] On dirait que le Parquet se comporte comme l’avocat de ceux-ci.” Et l’avocate de souligner que le Parquet “requiert également le non-lieu lorsque des policiers frappent sur quelqu’un”, pas seulement lorsqu’il s’agit de courses-poursuites.
Bras de fer
Il se dit aussi dans les couloirs du Palais de Justice que la pression entre Parquet et police est bien réelle. L’un n’avançant pas sans l’autre, un bras de fer a parfois lieu, à l’image d’une manifestation place Poelaert après la condamnation des policiers impliqués dans l’affaire Sabrina et Ouassim alors que le Parquet avait pourtant requis un non-lieu dans ce dossier. "Il existe des liens rapprochés entre la police et le Parquet, confie un observateur judiciaire expérimenté qui estime qu’il n’existe pas pour autant de couverture du Parquet à l’égard des forces de l’ordre. Les policiers se plaignent aussi de ne pas être suivis et protégés par le Parquet. Chaque maillon a son regard et son indépendance.”
En outre, des poursuites judiciaires à l’encontre de policiers, des poursuites devant le Comité P ou des sanctions disciplinaires peuvent aussi être prises, assure le Parquet. Mais, dans un communiqué envoyé ce lundi midi, la LDH (qui s’est constituée partie civile dans le dossier de Mehdi) rappelle que “le Comité P précise dans son rapport sur les décisions judiciaires concernant des policiers, que moins de la moitié (43,5 %, NdlR) des affaires qui lui sont transmises fait l’objet d’un procès, les autres étant arrêtées par une décision de non-lieu”. Pour La Ligue des Droits Humains, “il est primordial de tenir un procès public en cas de décès d’une personne lors d’une intervention policière afin qu’un débat de fond puisse avoir lieu pour interroger la légitimité des pratiques policières et que les familles des victimes, comme tous les citoyens, puissent comprendre ce qu’il s’est passé et pourquoi.”